« On prétend qu'il regrette beaucoup le passé, qu'il désire se rapprocher de moi », ajouta-t-il, faisant preuve à la fois de cette même crédulité d'homme du Faubourg qui dit : « On dit beaucoup que la France cause plus que jamais avec l'Allemagne et que les pourparlers sont même engagés » et de l'amoureux que les pires rebuffades n'ont pas persuadé. « En tout cas, s'il le veut il n'a qu'à le dire, je suis plus vieux que lui, ce n'est pas à moi à faire les premiers pas. » Et sans doute il était bien inutile de le dire, tant c'était évident. Mais de plus ce n'était même pas sincère et c'est pour cela qu'on était si gêné pour M. de Charlus, car on sentait qu'en disant que ce n'était pas à lui de faire les premiers pas, il en faisait au contraire un et attendait que j'offrisse de me charger du rapprochement.
Certes je connaissais cette naïve ou feinte crédulité des gens qui aiment quelqu'un, ou simplement ne sont pas reçus chez quelqu'un, et imputent à ce quelqu'un un désir qu'il n'a pourtant pas manifesté, malgré des sollicitations fastidieuses. Mais à l'accent soudain tremblant avec lequel M. de Charlus scanda ces paroles, au regard trouble qui vacillait au fond de ses yeux, j'eus l'impression qu'il y avait autre chose qu'une banale insistance.