Proust | J'étais dans une de ces périodes de la jeunesse, dépourvues d'un amour particulier, où partout on voit la Beauté

J'étais dans une de ces périodes de la jeunesse, dépourvues d'un amour particulier, vacantes, où partout – comme un amoureux, la femme dont il est épris – on désire, on cherche, on voit la Beauté. Qu'un seul trait réel – le peu qu'on distingue d'une femme vue de loin, ou de dos – nous permette de projeter la Beauté devant nous, nous nous figurons l'avoir reconnue, notre coeur bat, nous pressons le pas, et nous resterons toujours à demi persuadés que c'était elle, pourvu que la femme ait disparu : ce n'est que si nous pouvons la rattraper que nous comprenons notre erreur.