Encore le premier de ces traits caractéristiques s'effaça-t-il assez vite car Cottard mourut bientôt « face à l'ennemi », dirent les journaux, bien qu'il n'eût pas quitté Paris, mais se fût en effet surmené pour son âge, suivi bientôt par M. Verdurin dont la mort chagrina une seule personne qui fut, le croirait-on, Elstir. J'avais pu étudier son oeuvre à un point de vue en quelque sorte absolu. Mais lui, surtout au fur et à mesure qu'il vieillissait, la reliait superstitieusement à la société qui avait fourni ses modèles ; et après s'être ainsi, par l'alchimie des impressions, transformée chez lui en oeuvre d'art, lui avait donné son public, ses spectateurs. De plus en plus enclin à croire matérialistement qu'une part notable de la beauté réside dans les choses, ainsi que, pour commencer, il avait adoré en Mme Elstir le type de beauté un peu lourde qu'il avait poursuivi, caressé dans ses peintures, des tapisseries, il voyait disparaître avec M. Verdurin un des derniers vestiges du cadre social, du cadre périssable – aussi vite caduc que les modes vestimentaires elles-mêmes qui en font partie – qui soutient un art, certifie son authenticité, comme la Révolution en détruisant les élégances du XVIIIe siècle aurait pu désoler un peintre de fêtes galantes, ou affliger Renoir la disparition de Montmartre et du Moulin de la Galette ; mais surtout en M. Verdurin il voyait disparaître les yeux, le cerveau, qui avaient eu de sa peinture la vision la plus juste, où cette peinture, à l'état de souvenir aimé, résidait en quelque sorte. Sans doute des jeunes gens avaient surgi qui aimaient aussi la peinture, mais une autre peinture, et qui n'avaient pas comme Swann, comme M. Verdurin, reçu des leçons de goût de Whistler, des leçons de vérité de Monet, leur permettant de juger Elstir avec justice. Aussi celui-ci se sentait-il plus seul à la mort de M. Verdurin avec lequel il était pourtant brouillé depuis tant d'années, et ce fut pour lui comme un peu de la beauté de son oeuvre qui s'éclipsait avec un peu de ce qui existait, dans l'univers, de conscience de cette beauté.