Il finit par une remarque plus juste : « Ce qui est étonnant, dit-il, c'est que ce public qui ne juge ainsi des hommes et des choses de la guerre que par les journaux est persuadé qu'il juge par lui-même. »
En cela M. de Charlus avait raison. On m'a raconté qu'il fallait voir les moments de silence et d'hésitation qu'avait Mme de Forcheville, pareils à ceux qui sont nécessaires, non pas même seulement à l'énonciation, mais à la formation d'une opinion personnelle, avant de dire, sur le ton d'un sentiment intime : « Non, je ne crois pas qu'ils prendront Varsovie » ; « je n'ai pas l'impression qu'on puisse passer un second hiver » ; « ce que je ne voudrais pas, c'est une paix boiteuse » ; « ce qui me fait peur, si vous voulez que je vous le dise, c'est la Chambre » ; « si, j'estime tout de même qu'on pourra percer. » Et pour dire cela Odette prenait un air mièvre qu'elle poussait à l'extrême quand elle disait : « Je ne dis pas que les armées allemandes ne se battent pas bien, mais il leur manque ce qu'on appelle le cran. » Pour prononcer « le cran » (et même simplement pour le « mordant ») elle faisait avec sa main le geste de pétrissage et avec ses yeux le clignement des rapins employant un terme d'atelier.