Parmi les causes qui faisaient que maman m'envoyait tous les jours une lettre, et une lettre d'où n'était jamais absente quelque citation de Mme de Sévigné, il y avait le souvenir de ma grand-mère. Maman m'écrivait : « Mme Sazerat nous a donné un de ces petits déjeuners dont elle a le secret et qui, comme eût dit ta pauvre grand-mère, citant Mme de Sévigné, nous enlèvent à la solitude sans nous apporter la société. » Dans mes premières réponses, j'eus la bêtise d'écrire à maman : « À ces citations, ta mère te reconnaîtrait tout de suite. » Ce qui me valut, trois jours après, ce mot : « Mon pauvre fils, si c'était pour me parler de ma mère, tu invoques bien mal à propos Mme de Sévigné. Elle t'aurait répondu comme elle fit à Mme de Grignan : “Elle ne vous était donc rien ? Je vous croyais parents.” »
La Prisonnière
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[Cf ce propos prêté à Nietzsche : "Je déteste ceux qui m'enlèvent la solitude sans me tenir compagnie". - Phrase adaptée d'une lettre de Nietzsche à sa mère, en 1886, Nietzsche citant Mme de Sévigné sans la nommer : "(qui m'enlève la solitude, sans m'apporter la société)" - "Herr Lanzky (der mir die Einsamkeit nimmt, ohne mir die Gesellschaft zu geben)". - An Franziska Nietzsche in Naumburg (Postkarte), Ruta, 10. Oktober 1886.
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Mme de Sévigné est mentionnée par Nietzsche dès le 13 février 1881, dans une lettre à sa mère et à sa soeur :
"— Liebe Lisbeth, zum Lesen in Gesellschaft empfehle ich Voltaire’s Mahomet, von Goethe übersetzt (in allen Goethe-Ausgaben) Daß Frau von Sévigné eingeschlagen hat, hörte ich mit großem Vergnügen, ja, ich wartete darauf, es zu hören" ;
puis le 22 février 1881 dans une lettre à Peter Gast (Heinrich Köselitz) :
"J'aurais dû et voulu répondre tout de suite à votre avant-dernière carte - mais je ne pouvais pas ! Elle s'inspirait d'un esprit délicat et amical, Mme de Sévigné vous en aurait fait compliment. -"
"— Auf Ihre vorletzte Karte hätte ich gleich antworten sollen und mögen — aber ich konnte nicht! sie war von einem feinen und freundlichen Geiste eingegeben, Madame de Sévigné würde Ihnen ein Compliment dafür gemacht haben" ;
puis dans Aurore, § 191 :
"« le grand Corneille », comme s’exclamait Mme de Sévigné, avec l’accent de la femme devant un homme complet"
"— „unser grosser Corneille“, wie Frau von Sévigné, mit einem Accent des Weibes vor einem ganzen Manne, ausruft" ;
enfin dans un fragment posthume de 1884 :
"(Sévigné und Eliot sollten mehr sein als Schriftstellerninen und waren es auch — zum Theil Nothbehelf)" - eKGWB/NF-1884,25[124] — Nachgelassene Fragmente Frühjahr 1884.
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Dans une autre lettre, Nietzsche évoquait ceux "avec qui je m'entends bien, sans que ça m'enlève ma solitude".
- Lettre de Sils-Maria, 2 septembre 1886 :
"Dann sind c. 10 Universitätsprofessoren hier (in meinem Hause 4), mit denen ein artiger Verkehr stattfindet, ohne daß er mir die Einsamkeit nimmt."
- Note du site Marcel-Proust.com]
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