On put remarquer d'ailleurs qu'au fur et à mesure qu'augmenta le nombre des gens brillants qui firent des avances à Mme Verdurin, le nombre de ceux qu'elle appelait les « ennuyeux » diminua. Par une sorte de transformation magique, tout « ennuyeux » qui était venu lui faire une visite et avait sollicité une invitation devenait subitement quelqu'un d'agréable, d'intelligent. Bref, au bout d'un an le nombre des ennuyeux était réduit dans une proportion tellement forte que « la peur et l'impossibilité de s'ennuyer », qui avaient tenu une si grande place dans la conversation et joué un si grand rôle dans la vie de Mme Verdurin, avaient presque entièrement disparu. On eût dit que sur le tard cette impossibilité de s'ennuyer (qu'autrefois d'ailleurs elle assurait ne pas avoir éprouvée dans sa prime jeunesse) la faisait moins souffrir, comme certaines migraines, certains asthmes nerveux qui perdent de leur force quand on vieillit. Et l'effroi de s'ennuyer eût sans doute entièrement abandonné Mme Verdurin, faute d'ennuyeux, si elle n'avait, dans une faible mesure, remplacé ceux qui ne l'étaient plus par d'autres, recrutés parmi les anciens fidèles.
Extrait au hasard de l'Anthologie Proust: Marcel Proust | la vérité étant plutôt un courant qui part de ce qu'on nous dit et qu'on capte, tout invisible qu'il soit, que la chose même qu'on nous a dite
Citation au hasard: Proust | on n'a pas de prises sur la vie d'un autre être