« Voulez-vous, pour vous distraire les premiers jours, que je dise à Bloch de vous envoyer sa cousine Esther à l'endroit où vous serez ? Il fera cela pour moi. – Je ne sais pas pourquoi vous dites cela (je le disais pour tâcher d'arracher un aveu à Albertine), je ne tiens qu'à une seule personne, c'est à vous », me dit Albertine, dont les paroles me remplirent de douceur. Mais aussitôt quel mal elle me fit : « Je me rappelle très bien que j'ai donné ma photographie à cette Esther parce qu'elle insistait beaucoup et que je voyais que cela lui ferait plaisir, mais quant à avoir eu de l'amitié pour elle ou à avoir envie de la voir, jamais ! » Et pourtant Albertine était de caractère si léger qu'elle ajouta : « Si elle veut me voir, moi ça m'est égal, elle est très gentille, mais je n'y tiens aucunement. » Ainsi, quand je lui avais parlé de la photographie d'Esther que m'avait envoyée Bloch (et que je n'avais même pas encore reçue quand j'en avais parlé à Albertine), mon amie avait compris que Bloch m'avait montré une photographie d'elle, donnée par elle à Esther. Dans mes pires suppositions, je ne m'étais jamais figuré qu'une pareille intimité avait pu exister entre Albertine et Esther. Albertine n'avait rien trouvé à me répondre quand j'avais parlé de photographie. Et maintenant, me croyant, bien à tort, au courant, elle trouvait plus habile d'avouer. J'étais accablé.