Enfin un dernier trait complétera cette germanophilie de M. de Charlus : il la devait, et par une réaction très bizarre, à son « charlisme ». Il trouvait les Allemands fort laids, peut-être parce qu'ils étaient un peu trop près de son sang ; il était fou des Marocains, mais surtout des Anglo-Saxons en qui il voyait comme des statues vivantes de Phidias. Or chez lui le plaisir n'allait pas sans une certaine idée cruelle dont je ne savais pas encore à ce moment-là toute la force ; l'homme qu'il aimait lui apparaissait comme un délicieux bourreau. Il eût cru, en prenant parti contre les Allemands, agir comme il n'agissait que dans les heures de volupté, c'est-à-dire en sens contraire de sa nature pitoyable, c'est-à-dire enflammé pour le mal séduisant, et écrasant la vertueuse laideur. Ce fut encore ainsi au moment du meurtre de Raspoutine, meurtre auquel on fut surpris d'ailleurs de trouver un si fort cachet de couleur russe, dans un souper à la Dostoïevski (impression qui eût été encore bien plus forte si le public n'avait pas ignoré de tout cela ce que savait parfaitement M. de Charlus), parce que la vie nous déçoit tellement que nous finissons par croire que la littérature n'a aucun rapport avec elle et que nous sommes stupéfaits de voir que les précieuses idées que les livres nous ont montrées s'étalent, sans peur de s'abîmer, gratuitement, naturellement, en pleine vie quotidienne, et par exemple qu'un souper, un meurtre, événements russes, ont quelque chose de russe.