"(...)
Quant à la "méchanceté" pour ma part, je n'ai connu que l'invariable expansion d'un grand coeur et la sérénité d'un juste. Cette "méchanceté" ou soi-disant telle, ne fut pas inutile à Jacques Blanche et s'il y a eu dans cette réputation un peu de sa faute, alors répétons le Félix culpa (*) qui était cher à Renan. Le danger pour Blanche c'était que, élégant, spirituel, il dissipât sa vie dans la mondanité. Mais la nature qui invente au besoin des névroses protectrices, de tutélaires infortunes, pour que le don nécessaire ne soit pas laissé en friche, voulut que ce renom de médisance le brouillât assez vite avec les gens qui l'eussent empêché de peindre, et, les jours où il eut peut-être mieux aimé aller à une garden-party, le rejetât de force dans son atelier avec la rudesse de l'Ange baudelairien :
Car je suis ton bon ange, entends-tu, je le veux.
Si l'on savait mieux démêler
ces choses inconnues,
Où la douleur de l'homme entre comme élément,
on verrait que nous devons beaucoup plus, dans la vie, aux choses qui nous ont été désagréables, qu'aux autres. Cette fois-ci c'est un proverbe qui le dit avec toute la force inclusee en la plupart d'entre eux : "A quelque chose malheur est bon."
(...)"
Marcel Proust,
Préface des Propos de peintre de Jacques-Emile Blanche, mars 1919
(*)
O Felix Culpa, quae talem ac tantum meruit habere redemptorem !
« Heureuse faute, qui nous valut un tel Rédempteur !