Devant tout événement triste qu'on n'eût pu prévoir autrefois, la disgrâce ou la ruine d'un de nos vieux amis, quelque calamité publique, une épidémie, une guerre, une révolution, ma mère se disait que peut-être valait-il mieux que grand-mère n'eût rien vu de tout cela, que cela lui eût fait trop de peine, que peut-être elle n'eût pu le supporter. Et quand il s'agissait d'une chose choquante comme celles-ci, ma mère, par le mouvement du coeur inverse de celui des méchants qui se plaisent à supposer que ceux qu'ils n'aiment pas ont plus souffert qu'on ne croit, ne voulait pas dans sa tendresse pour ma grand-mère admettre que rien de triste, de diminuant eût pu lui arriver. Elle se figurait toujours ma grand-mère comme au-dessus des atteintes même de tout mal qui n'eût pas dû se produire, se disait que la mort de ma grand-mère avait peut-être été en somme un bien en épargnant le spectacle trop laid du temps présent à cette nature si noble qui n'aurait pas su s'y résigner. Car l'optimisme est la philosophie du passé. Les événements qui ont eu lieu étant entre tous ceux qui étaient possibles les seuls que nous connaissions, le mal qu'ils ont causé nous semble inévitable et le peu de bien qu'ils n'ont pas pu ne pas amener avec eux, c'est à eux que nous en faisons honneur, et nous nous imaginons que sans eux il ne se fût pas produit.