"Proust sut accommoder les puissances d'une vie intérieure singulièrement riche et curieusement travaillée, à l'expression d'une petite société qui veut être, et qui doit être, superficielle. Par son acte, l'image d'une société superficielle est une oeuvre profonde. Tant d'esprit devait-il s'y employer ? L'objet valait-il tant de soins, et une attention si soutenue ? - Ceci est très digne d'examen. Ce qui soi-même se nomme le "Monde" n'est composé que de personnages symboliques. Nul n'y figure qu'au titre de quelque abstraction. Il faut bien que tous les pouvoirs se rencontrent; que l'argent, quelque part, cause avec la beauté ; que la politique s'apprivoise avec l'élégance ; que les lettres et la naissance se conviennent et se donnent le thé. Sitôt qu'une puissance nouvelle se fait connaître, il ne se passe pas un temps infini que ses représentants n'apparaissent dans les réunions du "monde" ; et le mouvement de l'histoire se résume assez bien dans l'accession successive des espèces sociales aux salons, aux chasses, aux mariages et aux funérailles de la tribu suprême d'une nation. Toutes ces abstractions dont je parlais, ayant pour suppôts des individus qui sont ce qu'ils sont, il en résulte des contrastes et des complications qui ne s'observent que sur ce petit théâtre. (...) Il ne faut pas oublier que nos plus grands écrivains n'ont presque jamais considéré que la Cour. (...) Le très grand art, l'art des figures simplifiées et des types les plus purs, entités qui permettent le développement symétrique, et comme musical, des conséquences d'une situation bien isolée, est lié à l'existence d'un milieu conventionnel (...)"
Paul Valéry
Extrait de l'Hommage à Marcel Proust (-> texte intégral).