Certes, c'est au visage, tel que je l'avais aperçu pour la première fois devant la mer, que je rattachais certaines choses que j'écrirais sans doute. En un sens j'avais raison de les lui rattacher, car si je n'étais pas allé sur la digue ce jour-là, si je ne l'avais pas connue, toutes ces idées ne se seraient pas développées (à moins qu'elles l'eussent été par une autre). J'avais tort aussi, car ce plaisir générateur que nous avons à trouver rétrospectivement dans un beau visage de femme, vient de nos sens : il était bien certain en effet que ces pages que j'écrirais, Albertine, surtout l'Albertine d'alors, ne les eût pas comprises. Mais c'est justement pour cela (et c'est une indication à ne pas vivre dans une atmosphère trop intellectuelle), parce qu'elle était si différente de moi, qu'elle m'avait fécondé par le chagrin, et même d'abord par le simple effort pour imaginer ce qui diffère de soi. Ces pages, si elle avait été capable de les comprendre, par cela même elle ne les eût pas inspirées.
La jalousie est un bon recruteur qui, quand il y a un creux dans notre tableau, va nous chercher dans la rue la belle fille qu'il fallait. Elle n'était plus belle, elle l'est redevenue, car nous sommes jaloux d'elle, elle remplira ce vide.