L'idée que le chemin de la mort lui était accessible à n'importe quel moment, il en fit comme des milliers de ses semblables, non seulement un jeu d'imagination d'adolescent mélancolique, mais un appui et une consolation. Il est vrai que tout bouleversement, toute souffrance, toute situation défavorable provoquaient immédiatement en lui, comme en tous ceux de son espèce, le désir de s'y soustraire par la mort. Mais, peu à peu, il transforma ce penchant en philosophie utile à la vie. L'accoutumance à l'idée que cette sortie de secours lui était toujours ouverte lui donnait de la force, le rendait curieux de goûter les douleurs et les peines, et, lorsqu'il se sentait bien misérable, il lui arrivait d'éprouver une sorte de joie féroce : "Je suis curieux de voir combien un homme est capable de supporter. Si j'atteins à la limite de ce qu'on peut encore subir, eh bien, je n'ai qu'à ouvrir la porte et je serai sauvé !" Il existe beaucoup de suicidés qui puisent dans cette idée des forces extraordinaires.
Traité du Loup des Steppes, Seulement pour les fous,
Hermann Hesse, Le loup des steppes, traduit de l'allemand par Juliette Pary, LdP page IX