Flaubert. Les grands sujets et le libre exercice de l'imagination créatrice exercent encore un vif attrait sur lui ; sous ce rapport il voit Shakespeare, Cervantès et aussi Victor Hugo comme un romantique, et maudit parfois son propre sujet, étroit et petit-bourgeois, qui le contraint à la plus lassante minutie stylistique (dire à la fois simplement et proprement des choses vulgaires) ; cela va quelquefois si loin qu'il tient des propos qui sont en contradiction avec son attitude fondamentale : ... et ce qu'il y a de désolant, c'est de penser que, même réussi dans la perfection, cela [Madame Bovary] ne peut être que passable et ne sera jamais beau, à cause du fond même. Ajoutons que, comme beaucoup d'artistes du XIXe siècle, il déteste son temps. Il discerne avec beaucoup de pénétration ses problèmes et les crises qui se préparent. Il voit l'anarchie intérieure, le manque de base théologique, la menace d'un âge des masses qui s'annonce. Il sent la misère de l'historisme éclectique, il est conscient du règne de la phraséologie. Mais il n'aperçoit ni solution ni issue ; sa mystique de l'art, dans son fanatisme, est pour lui presque un substitut de religion, et il s'y cramponne. De sorte que sa probité devient très souvent grincheuse, mesquine, coléreuse et nerveuse. Son amour impartial des objets, amour comparable à celui du Créateur, en pâtit quelquefois".
Erich Auerbach,
Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale