Peu à peu mon agitation se calma. Albertine allait rentrer. Je l'entendrais sonner à la porte dans un instant. Je sentais que ma vie n'était plus même comme elle aurait pu être ; et qu'avoir ainsi une femme avec qui tout naturellement, quand elle allait être de retour, je devrais sortir, vers l'embellissement de qui allaient être de plus en plus détournées les forces et l'activité de mon être, faisait de moi comme une tige accrue, mais alourdie par le fruit opulent en qui passent toutes ses réserves. Contrastant avec l'anxiété que j'avais encore il y a une heure, le calme que me causait le retour d'Albertine était plus vaste que celui que j'avais ressenti le matin avant son départ. Anticipant sur l'avenir, dont la docilité de mon amie me rendait à peu près maître, plus résistant, comme rempli et stabilisé par la présence imminente, importune, inévitable et douce, c'était le calme (nous dispensant de chercher le bonheur en nous-mêmes) qui naît d'un sentiment familial et d'un bonheur domestique. Familial et domestique : tel fut encore, non moins que le sentiment qui avait amené tant de paix en moi tandis que j'attendais Albertine, celui que j'éprouvai ensuite en me promenant avec elle. Elle ôta un instant son gant, soit pour toucher ma main, soit pour m'éblouir en me laissant voir à son petit doigt à côté de celle donnée par Mme Bontemps, une bague où s'étendait la large et liquide nappe d'une claire feuille de rubis : « Encore une nouvelle bague, Albertine. Votre tante est d'une générosité ! – Non, celle-là ce n'est pas ma tante, dit-elle en riant. C'est moi qui l'ai achetée, comme, grâce à vous, je peux faire de grandes économies. Je ne sais même pas à qui elle a appartenu. Un voyageur qui n'avait pas d'argent la laissa au propriétaire d'un hôtel où j'étais descendue au Mans. Il ne savait qu'en faire et l'aurait vendue bien au-dessous de sa valeur. Mais elle était encore bien trop chère pour moi. Maintenant que, grâce à vous, je deviens une dame chic, je lui ai fait demander s'il l'avait encore. Et la voici. – Cela fait bien des bagues, Albertine. Où mettrez-vous celle que je vais vous donner ? En tout cas, celle-ci est très jolie ; je ne peux pas distinguer les ciselures autour du rubis, on dirait une tête d'homme grimaçante. Mais je n'ai pas une assez bonne vue. – Vous l'auriez meilleure que cela ne vous avancerait pas beaucoup. Je ne distingue pas non plus. » Jadis il m'était souvent arrivé en lisant des Mémoires, un roman, où un homme sort toujours avec une femme, goûte avec elle, de désirer pouvoir faire ainsi. J'avais cru parfois y réussir, par exemple en emmenant avec moi la maîtresse de Saint-Loup, en allant dîner avec elle. Mais j'avais beau appeler à mon secours l'idée que je jouais bien à ce moment-là le personnage que j'avais envié dans le roman, cette idée me persuadait que je devais avoir du plaisir auprès de Rachel et ne m'en donnait pas. C'est que chaque fois que nous voulons imiter quelque chose qui fut vraiment réel, nous oublions que ce quelque chose fut produit non par la volonté d'imiter, mais par une force inconsciente, et réelle, elle aussi. Mais cette impression particulière que n'avait pu me donner tout mon désir d'éprouver un plaisir délicat à me promener avec Rachel, voici maintenant que je l'éprouvais sans l'avoir cherchée le moins du monde, mais pour des raisons tout autres, sincères, profondes – pour citer un exemple – pour cette raison que ma jalousie m'empêchait d'être loin d'Albertine, et du moment que je pouvais sortir, de la laisser aller se promener sans moi. Je ne l'éprouvais que maintenant parce que la connaissance est non des choses extérieures qu'on veut observer, mais des sensations involontaires ; parce qu'autrefois une femme avait eu beau être dans la même voiture que moi, elle n'était pas en réalité à côté de moi, tant que ne l'y recréait pas à tout instant un besoin d'elle comme j'en avais un d'Albertine, tant que la caresse constante de mon regard ne lui rendait pas sans cesse ces teintes qui demandent à être perpétuellement rafraîchies, tant que les sens, même apaisés mais qui se souviennent, ne mettaient pas sous ces couleurs la saveur et la consistance, tant qu'unie aux sens et à l'imagination qui les exalte, la jalousie ne maintenait pas cette femme en équilibre auprès de nous par une attraction compensée aussi puissante que la loi de la gravitation. Notre voiture descendait vite les boulevards, les avenues, dont les hôtels en rangée, rose congélation de soleil et de froid, me rappelaient mes visites chez Mme Swann doucement éclairées par les chrysanthèmes en attendant l'heure des lampes. J'avais à peine le temps d'apercevoir, aussi séparé d'elles derrière la vitre de l'auto que je l'aurais été derrière la fenêtre de ma chambre, une jeune fruitière, une crémière, debout devant sa porte, illuminée par le beau temps, comme une héroïne que mon désir suffisait à engager dans des péripéties délicieuses, au seuil d'un roman que je ne connaîtrais pas. Car je ne pouvais demander à Albertine de m'arrêter, et déjà n'étaient plus visibles les jeunes femmes dont mes yeux avaient à peine distingué les traits et caressé la fraîcheur dans la blonde vapeur où elles étaient baignées. L'émotion dont je me sentais saisi en apercevant la fille d'un marchand de vins à sa caisse ou une blanchisseuse causant dans la rue était l'émotion qu'on a à reconnaître des Déesses. Depuis que l'Olympe n'existe plus, ses habitants vivent sur la terre. Et quand faisant un tableau mythologique, les peintres ont fait poser pour Vénus ou Cérès des filles du peuple exerçant les plus vulgaires métiers, bien loin de commettre un sacrilège, ils n'ont fait que leur ajouter, que leur rendre la qualité, les attributs divins dont elles étaient dépouillées. « Comment vous a semblé le Trocadéro, petite folle ? – Je suis rudement contente de l'avoir quitté pour venir avec vous. C'est de Davioud, je crois. – Mais comme ma petite Albertine s'instruit ! En effet, c'est de Davioud, mais je l'avais oublié. – Pendant que vous dormez je lis vos livres, grand paresseux. Comme monument c'est assez moche, n'est-ce pas ? – Petite, voilà, vous changez tellement vite et vous devenez tellement intelligente (c'était vrai, mais de plus je n'étais pas fâché qu'elle eût la satisfaction, à défaut d'autres, de se dire que du moins le temps qu'elle passait chez moi n'était pas entièrement perdu pour elle) que je vous dirais au besoin des choses qui seraient généralement considérées comme fausses et qui correspondent à une vérité que je cherche. Vous savez ce que c'est que l'impressionnisme ? – Très bien. – Hé ! bien, voyez ce que je veux dire : vous vous rappelez l'église de Marcouville-l'Orgueilleuse qu'Elstir n'aimait pas parce qu'elle était neuve ? Est-ce qu'il n'est pas un peu en contradiction avec son propre impressionnisme quand il retire ainsi ces monuments de l'impression globale où ils sont compris, les amène hors de la lumière où ils sont dissous et examine en archéologue leur valeur intrinsèque ? Quand il peint, est-ce qu'un hôpital, une école, une affiche sur un mur ne sont pas de la même valeur qu'une cathédrale inestimable qui est à côté, dans une image indivisible ? Rappelez-vous comme la façade était cuite par le soleil, comme le relief de ces saints de Marcouville surnageait dans la lumière. Qu'importe qu'un monument soit neuf s'il paraît vieux ; et même s'il ne le paraît pas ! Ce que les vieux quartiers contiennent de poésie a été extrait jusqu'à la dernière goutte, mais certaines maisons nouvellement bâties pour de petits bourgeois cossus, dans des quartiers neufs, où la pierre trop blanche est fraîchement sciée, ne déchirent-elles pas l'air torride de midi en juillet, à l'heure où les commerçants reviennent déjeuner dans la banlieue, d'un cri aussi acide que l'odeur des cerises attendant que le déjeuner soit servi dans la salle à manger obscure, où les prismes de verre pour poser les couteaux projettent des feux multicolores et aussi beaux que les verrières de Chartres ? – Que vous êtes gentil ! Si je deviens jamais intelligente, ce sera grâce à vous. – Pourquoi dans une belle journée détacher ses yeux du Trocadéro dont les tours en cou de girafe font penser à la chartreuse de Pavie ? – Il m'a rappelé aussi, dominant comme cela sur son tertre, une reproduction de Mantegna que vous avez, je crois que c'est Saint Sébastien, où il y a au fond une ville en amphithéâtre et où on jurerait qu'il y a le Trocadéro. – Vous voyez bien ! Mais comment avez-vous vu la reproduction de Mantegna ? Vous êtes renversante. » Nous étions arrivés dans des quartiers plus populaires et l'érection d'une Vénus ancillaire derrière chaque comptoir faisait de lui comme un autel suburbain au pied duquel j'aurais voulu passer ma vie. Comme on fait à la veille d'une mort prématurée, je dressais le compte des plaisirs dont me privait le point final qu'Albertine mettait à ma liberté. À Passy ce fut sur la chaussée même, à cause de l'encombrement, que des jeunes filles se tenant par la taille m'émerveillèrent de leur sourire. Je n'eus pas le temps de le bien distinguer, mais il était peu probable que je le surfisse ; dans toute foule, en effet, dans toute foule jeune, il n'est pas rare que l'on rencontre l'effigie d'un noble profil. De sorte que ces cohues populaires des jours de fête sont pour le voluptueux aussi précieuses que pour l'archéologue le désordre d'une terre où une fouille fait apparaître des médailles antiques. Nous arrivâmes au Bois. Je pensais que si Albertine n'était pas sortie avec moi, je pourrais en ce moment, au Cirque des Champs-Élysées entendre la tempête wagnérienne faire gémir tous les cordages de l'orchestre, attirer à elle comme une écume légère l'air de chalumeau que j'avais joué tout à l'heure, le faire voler, le pétrir, le déformer, le diviser, l'entraîner dans un tourbillon grandissant. Du moins je voulus que notre promenade fût courte et que nous rentrions de bonne heure car sans en parler à Albertine, j'avais décidé d'aller le soir chez les Verdurin. Ils m'avaient envoyé dernièrement une invitation que j'avais jetée au panier avec toutes les autres. Mais je me ravisais pour ce soir, car je voulais tâcher d'apprendre quelles personnes Albertine avait pu espérer rencontrer l'après-midi chez eux. À vrai dire, j'en étais arrivé avec Albertine à ce moment où (si tout continue de même, si les choses se passent normalement) une femme ne sert plus pour nous que de transition avec une autre femme. Elle tient à notre coeur encore, mais bien peu ; nous avons hâte d'aller chaque soir trouver des inconnues, et surtout des inconnues connues d'elle, lesquelles pourront nous raconter sa vie. Elle, en effet, nous avons possédé, épuisé tout ce qu'elle a consenti à nous livrer d'elle-même. Sa vie, c'est elle-même encore, mais justement la partie que nous ne connaissons pas, les choses sur quoi nous l'avons vainement interrogée et que nous pourrons recueillir sur des lèvres neuves. Si ma vie avec Albertine devait m'empêcher d'aller à Venise, de voyager, du moins j'aurais pu tantôt, si j'avais été seul, connaître les jeunes midinettes éparses dans l'ensoleillement de ce beau dimanche et dans la beauté de qui je faisais entrer pour une grande part la vie inconnue qui les animait. Les yeux qu'on voit ne sont-ils pas tout pénétrés par un regard dont on ne sait pas les images, les souvenirs, les attentes, les dédains qu'il porte et dont on ne peut pas les séparer ? Cette existence, qui est celle de l'être qui passe, ne donnera-t-elle pas, selon ce qu'elle est, une valeur variable au froncement de ces sourcils, à la dilatation de ces narines ? La présence d'Albertine me privait d'aller à elles et peut-être ainsi de cesser de les désirer. Celui qui veut entretenir en soi le désir de continuer à vivre et la croyance en quelque chose de plus délicieux que les choses habituelles, doit se promener ; car les rues, les avenues, sont pleines de Déesses. Mais les Déesses ne se laissent pas approcher. Çà et là, entre les arbres, à l'entrée de quelque café, une servante veillait comme une nymphe à l'orée d'un bois sacré, tandis qu'au fond trois jeunes filles étaient assises à côté de l'arc immense de leurs bicyclettes posées à côté d'elles, comme trois immortelles accoudées au nuage ou au coursier fabuleux sur lesquels elles accomplissaient leurs voyages mythologiques. Je remarquais que chaque fois Albertine regardait un instant toutes ces filles avec une attention profonde et se retournait aussitôt vers moi. Mais je n'étais trop tourmenté ni par l'intensité de cette contemplation, ni par sa brièveté que l'intensité compensait ; en effet pour cette dernière, il arrivait souvent qu'Albertine, soit fatigue, soit manière de regarder particulière à un être attentif, considérait ainsi dans une sorte de méditation, fût-ce mon père ou Françoise ; et quant à sa vitesse à se retourner vers moi, elle pouvait être motivée par le fait qu'Albertine, connaissant mes soupçons, pouvait vouloir, même s'ils n'étaient pas justifiés, éviter de leur donner prise. Cette attention, d'ailleurs, qui m'eût semblé criminelle de la part d'Albertine (et tout autant si elle avait eu pour objet des jeunes gens), je l'attachais, sans me croire un instant coupable – et en trouvant presque qu'Albertine l'était en m'empêchant par sa présence de m'arrêter et de descendre – sur toutes les midinettes. On trouve innocent de désirer et atroce que l'autre désire. Et ce contraste entre ce qui concerne ou bien nous, ou bien celle que nous aimons, n'a pas trait au désir seulement, mais aussi au mensonge. Quelle chose plus usuelle que lui, qu'il s'agisse de masquer par exemple les faiblesses quotidiennes d'une santé qu'on veut faire croire forte, de dissimuler un vice, ou d'aller, sans froisser autrui, à la chose que l'on préfère ? Il est l'instrument de conservation le plus nécessaire et le plus employé. Or c'est lui que nous avons la prétention de bannir de la vie de celle que nous aimons, c'est lui que nous épions, que nous flairons, que nous détestons partout. Il nous bouleverse, il suffit à amener une rupture, il nous semble cacher les plus grandes fautes, à moins qu'il ne les cache si bien que nous ne les soupçonnions pas. Étrange état que celui où nous sommes à ce point sensibles à un agent pathogène que son pullulement universel rend inoffensif aux autres et si grave pour le malheureux qui se trouve ne plus avoir d'immunité contre lui ! La vie de ces jolies filles, comme – à cause de mes longues périodes de réclusion – j'en rencontrais si rarement, me paraissait, ainsi qu'à tous ceux chez qui la facilité des réalisations n'a pas amorti la puissance de concevoir, quelque chose d'aussi différent de ce que je connaissais, d'aussi désirable, que les villes les plus merveilleuses que promet le voyage. La déception éprouvée auprès des femmes que j'avais connues ou dans les villes où j'étais allé, ne m'empêchait pas de me laisser prendre à l'attrait des nouvelles et de croire à leur réalité. Aussi, de même que voir Venise – Venise dont ce temps printanier me donnait aussi la nostalgie et que le mariage avec Albertine m'empêcherait de connaître – voir Venise dans un panorama que Ski eût peut-être déclaré plus joli de tons que la ville réelle, ne m'eût en rien remplacé le voyage à Venise, dont la longueur déterminée sans que j'y fusse pour rien me semblait indispensable à franchir, de même, si jolie fût-elle, la midinette qu'une entremetteuse m'eût artificiellement procurée n'eût nullement pu se substituer pour moi à celle qui, la taille dégingandée, passait en ce moment sous les arbres en riant avec une amie. Celle que j'eusse trouvée dans une maison de passe eût-elle été plus jolie que cela n'eût pas été la même chose, parce que nous ne regardons pas les yeux d'une fille que nous ne connaissons pas comme nous ferions d'une petite plaque d'opale ou d'agate. Nous savons que le petit rayon qui les irise ou les grains de brillant qui les font étinceler sont tout ce que nous pouvons voir d'une pensée, d'une volonté, d'une mémoire où résident la maison familiale que nous ne connaissons pas, les amis chers que nous envions. Arriver à nous emparer de tout cela, qui est si difficile, si rétif, c'est ce qui donne sa valeur au regard bien plus que sa seule beauté matérielle (par quoi peut être expliqué qu'un même jeune homme éveille tout un roman dans l'imagination d'une femme qui a entendu dire qu'il était le prince de Galles, et ne fait plus attention à lui quand elle apprend qu'elle s'est trompée) ; trouver la midinette dans la maison de passe, c'est la trouver vidée de cette vie inconnue qui la pénètre et que nous aspirons à posséder avec elle, c'est nous approcher des yeux devenus en effet de simples pierres précieuses, d'un nez dont le froncement est aussi dénué de signification que celui d'une fleur. Non, cette midinette inconnue qui passait là et dont il me semblait aussi indispensable, si je voulais continuer à croire à sa réalité, que de faire un long trajet en chemin de fer si je voulais croire à celle du Pise que je verrais et qui ne serait pas qu'un spectacle d'exposition universelle, d'essuyer les résistances en y adaptant mes directions, en allant au-devant d'un affront, en revenant à la charge, en obtenant un rendez-vous, en l'attendant à la sortie des ateliers, en connaissant épisode par épisode ce qui composait la vie de cette petite, en traversant ce dont s'enveloppait pour elle le plaisir que je cherchais et la distance que ses habitudes différentes et sa vie spéciale mettaient entre moi et l'attention, la faveur que je voulais atteindre et capter. Mais ces similitudes mêmes du désir et du voyage firent que je me promis de serrer un jour d'un peu plus près la nature de cette force invisible mais aussi puissante que les croyances, ou dans le monde physique que la pression atmosphérique, qui portait si haut les cités, les femmes, tant que je ne les connaissais pas, et qui se dérobait sous elles dès que je les avais approchées, les faisait tomber aussitôt à plat sur le terre à terre de la plus triviale réalité. Plus loin une autre fillette était agenouillée près de sa bicyclette qu'elle arrangeait. Une fois la réparation faite, la jeune coureuse monta sur sa bicyclette, mais sans l'enfourcher comme eût fait un homme. Pendant un instant la bicyclette tangua, et le jeune corps semblait s'être accru d'une voile, d'une aile immense et bientôt nous vîmes s'éloigner à toute vitesse la jeune créature mi-humaine, mi-ailée, ange ou péri, poursuivant son voyage. Voilà ce dont la présence d'Albertine, voilà ce dont ma vie avec Albertine me privait justement. Dont elle me privait ? N'aurais-je pas dû penser : dont elle me gratifiait au contraire ? Si Albertine n'avait pas vécu avec moi, avait été libre, j'eusse imaginé, et avec raison, toutes ces femmes comme des objets possibles, probables, de son désir, de son plaisir. Elles me fussent apparues comme ces danseuses qui dans un ballet diabolique, représentant les Tentations pour un être, lancent leurs flèches au coeur d'un autre être. Les midinettes, les jeunes filles, les comédiennes, comme je les aurais haïes ! Objet d'horreur, elles eussent été exceptées pour moi de la beauté de l'univers. Le servage d'Albertine, en me permettant de ne plus souffrir par elles, les restituait à la beauté du monde. Inoffensives, ayant perdu l'aiguillon qui met au coeur la jalousie, il m'était loisible de les admirer, de les caresser du regard, un autre jour plus intimement peut-être. En enfermant Albertine, j'avais du même coup rendu à l'univers toutes ces ailes chatoyantes qui bruissent dans les promenades, dans les bals, dans les théâtres, et qui redevenaient tentatrices pour moi parce qu'elle ne pouvait plus succomber à leur tentation. Elles faisaient la beauté du monde. Elles avaient fait jadis celle d'Albertine. C'est parce que je l'avais vue comme un oiseau mystérieux, puis comme une grande actrice de la plage, désirée, obtenue peut-être, que je l'avais trouvée merveilleuse. Une fois captif chez moi l'oiseau que j'avais vu un soir marcher à pas comptés sur la digue, entouré de la congrégation des autres jeunes filles pareilles à des mouettes venues on ne sait d'où, Albertine avait perdu toutes ses couleurs, avec toutes les chances qu'avaient les autres de l'avoir à eux. Elle avait peu à peu perdu sa beauté. Il fallait des promenades comme celles-là, où je l'imaginais sans moi accostée par telle femme ou tel jeune homme, pour que je la revisse dans la splendeur de la plage, bien que ma jalousie fût sur un autre plan que le déclin des plaisirs de mon imagination. Mais, malgré ces brusques sursauts où, désirée par d'autres, elle me redevenait belle, je pouvais très bien diviser son séjour chez moi en deux périodes : la première où elle était encore, quoique moins chaque jour, la chatoyante actrice de la plage, la seconde où, devenue la grise prisonnière, réduite à son terne elle-même, il lui fallait ces éclairs où je me ressouvenais du passé pour lui rendre des couleurs. Parfois, dans les heures où elle m'était le plus indifférente, me revenait le souvenir d'un moment lointain où sur la plage, quand je ne la connaissais pas encore, non loin de telle dame avec qui j'étais fort mal et avec qui j'étais presque certain maintenant qu'elle avait eu des relations, elle éclatait de rire en me regardant d'une façon insolente. La mer polie et bleue bruissait tout autour. Dans le soleil de la plage, Albertine, au milieu de ses amies, était la plus belle. C'était une fille magnifique, qui, dans ce cadre habituel d'eaux immenses, m'avait, elle, précieuse à la dame qui l'admirait, infligé cet affront. Il était définitif, car la dame retournait peut-être à Balbec, constatait peut-être, sur la plage lumineuse et bruissante, l'absence d'Albertine. Mais elle ignorait que la jeune fille vécût chez moi, rien qu'à moi. Les eaux immenses et bleues, l'oubli des préférences qu'elle avait pour cette jeune fille et qui allaient à d'autres, étaient retombés sur l'avanie que m'avait faite Albertine, l'enfermant dans un éblouissant et infrangible écrin. Alors la haine pour cette femme mordait mon coeur ; pour Albertine aussi, mais une haine mêlée d'admiration pour la belle jeune fille adulée, à la chevelure merveilleuse, et dont l'éclat de rire sur la plage était un affront. La honte, la jalousie, le ressouvenir des désirs premiers et du cadre éclatant avaient redonné à Albertine sa beauté, sa valeur d'autrefois. Et ainsi alternait, avec l'ennui un peu lourd que j'avais auprès d'elle, un désir frémissant, plein d'images magnifiques et de regrets, selon qu'elle était à côté de moi dans ma chambre ou que je lui rendais sa liberté dans ma mémoire, sur la digue, dans ses gais costumes de plage, au jeu des instruments de musique de la mer, Albertine, tantôt sortie de ce milieu, possédée et sans grande valeur, tantôt replongée en lui, m'échappant dans un passé que je ne pourrais connaître, m'offensant auprès de la dame, de son amie, autant que l'éclaboussure de la vague ou l'étourdissement du soleil, Albertine remise sur la plage ou rentrée dans ma chambre, en une sorte d'amour amphibie. Ailleurs une bande nombreuse jouait au ballon. Toutes ces fillettes avaient voulu profiter du soleil, car ces journées de février, même quand elles sont si brillantes, ne durent pas tard et la splendeur de leur lumière ne retarde pas la venue de son déclin. Avant qu'il fût encore proche nous eûmes quelque temps de pénombre, parce qu'après avoir poussé jusqu'à la Seine, où Albertine admira, et par sa présence m'empêcha d'admirer, les reflets de voiles rouges sur l'eau hivernale et bleue, une maison de tuiles blottie au loin comme un seul coquelicot dans l'horizon clair dont Saint-Cloud semblait plus loin la pétrification fragmentaire, friable et côtelée, nous descendîmes de voiture et marchâmes longtemps. Même pendant quelques instants je lui donnai le bras, et il me semblait que cet anneau que le sien faisait sous le mien unissait en un seul être nos deux personnes et attachait l'une à l'autre nos deux destinées. À nos pieds, nos ombres parallèles puis rapprochées et jointes, faisaient un dessin ravissant. Sans doute il me semblait déjà merveilleux à la maison qu'Albertine habitât avec moi, que ce fût elle qui s'étendît sur mon lit. Mais c'en était comme l'exportation au dehors, en pleine nature, que devant ce lac du Bois que j'aimais tant, au pied des arbres, ce fût justement son ombre, l'ombre pure et simplifiée de sa jambe, de son buste, que le soleil eût à peindre au lavis à côté de la mienne sur le sable de l'allée. Et je trouvais un charme plus immatériel sans doute mais non pas moins intime qu'au rapprochement, à la fusion de nos corps, à celle de nos ombres. Puis nous remontâmes dans la voiture. Et elle s'engagea pour le retour dans de petites allées sinueuses où les arbres d'hiver, habillés de lierre et de ronces, comme des ruines, semblaient conduire à la demeure d'un magicien. À peine sortis de leur couvert assombri, nous retrouvâmes, pour sortir du Bois, le plein jour, si clair encore que je croyais avoir le temps de faire tout ce que je voudrais avant le dîner, quand, quelques instants seulement après, au moment où notre voiture approchait de l'Arc de Triomphe, ce fut avec un brusque mouvement de surprise et d'effroi que j'aperçus au-dessus de Paris la lune pleine et prématurée comme le cadran d'une horloge arrêtée qui nous fait croire qu'on s'est mis en retard. Nous avions dit au cocher de rentrer. Pour elle, c'était aussi revenir chez moi. La présence des femmes, si aimées soient-elles, qui doivent nous quitter pour rentrer, ne donne pas cette paix que je goûtais dans la présence d'Albertine assise au fond de la voiture à côté de moi, présence qui nous acheminait non au vide des heures où l'on est séparé, mais à la réunion plus stable encore et mieux enclose dans mon chez-moi qui était aussi son chez-elle, symbole matériel de la possession que j'avais d'elle. Certes, pour posséder il faut avoir désiré. Nous ne possédons une ligne, une surface, un volume que si notre amour l'occupe. Mais Albertine n'avait pas été pour moi pendant notre promenade, comme avait été jadis Rachel, une vaine poussière de chair et d'étoffe. L'imagination de mes yeux, de mes lèvres, de mes mains, avait à Balbec si solidement construit, si tendrement poli son corps, que maintenant dans cette voiture, pour toucher ce corps, pour le contenir, je n'avais pas besoin de me serrer contre Albertine, ni même de la voir, il me suffisait de l'entendre, et si elle se taisait, de la savoir auprès de moi ; mes sens tressés ensemble l'enveloppaient tout entière, et quand arrivée devant la maison tout naturellement elle descendit, je m'arrêtai un instant pour dire au chauffeur de revenir me prendre, mais mes regards l'enveloppaient encore tandis qu'elle s'enfonçait devant moi sous la voûte, et c'était toujours ce même calme inerte et domestique que je goûtais à la voir ainsi lourde, empourprée, opulente et captive, rentrer tout naturellement avec moi, comme une femme que j'avais à moi, et protégée par les murs, disparaître dans notre maison. |
Gradually my agitation subsided. Albertine was on her way home. I should hear her ring the bell in a moment. I felt that my life was no longer what it might have become, and that to have a woman in the house like this with whom quite naturally, when she returned home, I should have to go out, to the adornment of whose person the strength and activity of my nature were to be ever more and more diverted, made me as it were a bough that has blossomed, but is weighed down by the abundant fruit into which all its reserves of strength have passed. In contrast to the anxiety that I had been feeling only an hour earlier, the calm that I now felt at the prospect of Albertine’s return was more ample than that which I had felt in the morning before she left the house. Anticipating the future, of which my mistress’s docility made me practically master, more resistant, as though it were filled and stabilised by the imminent, importunate, inevitable, gentle presence, it was the calm (dispensing us from the obligation to seek our happiness in ourselves) that is born of family feeling and domestic bliss. Family and domestic: such was again, no less than the sentiment that had brought me such great peace while I was waiting for Albertine, that which I felt later on when I drove out with her. She took off her glove for a moment, whether to touch my hand, or to dazzle me by letting me see on her little finger, next to the ring that Mme. Bontemps had given her, another upon which was displayed the large and liquid surface of a clear sheet of ruby. “What! Another ring, Albertine. Your aunt is generous!” “No, I didn’t get this from my aunt,” she said with a laugh. “It was I who bought it, now that, thanks to you, I can save up ever so much money. I don’t even know whose it was before. A visitor who was short of money left it with the landlord of an hotel where I stayed at Le Mans. He didn’t know what to do with it, and would have let it go for much less than it was worth. But it was still far too dear for me. Now that, thanks to you, I’m becoming a smart lady, I wrote to ask him if he still had it. And here it is.” “That makes a great many rings, Albertine. Where will you put the one that I am going to give you? Anyhow, it is a beautiful ring, I can’t quite make out what that is carved round the ruby, it looks like a man’s head grinning. But my eyes aren’t strong enough.” “They might be as strong as you like, you would be no better off. I can’t make it out either.” In the past it had often happened, as I read somebody’s memoirs, or a novel, in which a man always goes out driving with a woman, takes tea with her, that I longed to be able to do likewise. I had thought sometimes that I was successful, as for instance when I took Saint-Loup’s mistress out with me, or went to dinner with her. But in vain might I summon to my assistance the idea that I was at that moment actually impersonating the character that I had envied in the novel, that idea assured me that I ought to find pleasure in Rachel’s society, and afforded me none. For, whenever we attempt to imitate something that has really existed, we forget that this something was brought about not by the desire to imitate but by an unconscious force which itself also is real; but this particular impression which I had been unable to derive from all my desire to taste a delicate pleasure in going out with Rachel, behold I was now tasting it without having made the slightest effort to procure it, but for quite different reasons, sincere, profound; to take a single instance, for the reason that my jealousy prevented me from letting Albertine go out of my sight, and, the moment that I was able to leave the house, from letting her go anywhere without me. I tasted it only now, because our knowledge is not of the external objects which we try to observe, but of involuntary sensations, because in the past a woman might be sitting in the same carriage as myself, she was not really by my side, so long as she was not created afresh there at every moment by a need of her such as I felt of Albertine, so long as the constant caress of my gaze did not incessantly restore to her those tints that need to be perpetually refreshed, so long as my senses, appeased it might be but still endowed with memory, did not place beneath those colours savour and substance, so long as, combined with the senses and with the imagination that exalts them, jealousy was not maintaining the woman in equilibrium by my side by a compensated attraction as powerful as the law of gravity. Our motor-car passed swiftly along the boulevards, the avenues whose lines of houses, a rosy congelation of sunshine and cold, reminded me of calling upon Mme. Swann in the soft light of her chrysanthemums, before it was time to ring for the lamps. I had barely time to make out, being divided from them by the glass of the motor-car as effectively as I should have been by that of my bedroom window, a young fruit seller, a dairymaid, standing in the doorway of her shop, illuminated by the sunshine like a heroine whom my desire was sufficient to launch upon exquisite adventures, on the threshold of a romance which I might never know. For I could not ask Albertine to let me stop, and already the young women were no longer visible whose features my eyes had barely distinguished, barely caressed their fresh complexions in the golden vapour in which they were bathed. The emotion that I felt grip me when I caught sight of a wine-merchant’s girl at her desk or a laundress chatting in the street was the emotion that we feel on recognising a goddess. Now that Olympus no longer exists, its inhabitants dwell upon the earth. And when, in composing a mythological scene, painters have engaged to pose as Venus or Ceres young women of humble birth, who follow the most sordid callings, so far from committing sacrilege, they have merely added, restored to them the quality, the various attributes which they had forfeited. “What did you think of the Trocadéro, you little gadabout?” “I’m jolly glad I came away from it to go out with you. As architecture, it’s pretty measly, isn’t it? It’s by Davioud, I fancy.” “But how learned my little Albertine is becoming! Of course it was Davioud who built it, but I couldn’t have told you offhand.” “While you are asleep, I read your books, you old lazybones.” “Listen, child, you are changing so fast and becoming so intelligent” (this was true, but even had it not been true I was not sorry that she should have the satisfaction, failing any other, of saying to herself that at least the time which she spent in my house was not being entirely wasted) “that I don’t mind telling you things that would generally be regarded as false and which are all on the way to a truth that I am seeking. You know what is meant by impressionism?” “Of course!” “Very well then, this is what I mean: you remember the church at Marcouville l’Orgueilleuse which Elstir disliked because it was new. Isn’t it rather a denial of his own impressionism when he subtracts such buildings from the general impression in which they are contained to bring them out of the light in which they are dissolved and scrutinise like an archaeologist their intrinsic merit? When he begins to paint, have not a hospital, a school, a poster upon a hoarding the same value as a priceless cathedral which stands by their side in a single indivisible image? Remember how the façade was baked by the sun, how that carved frieze of saints swam upon the sea of light. What does it matter that a building is new, if it appears to be old, or even if it does not. All the poetry that the old quarters contain has been squeezed out to the last drop, but if you look at some of the houses that have been built lately for rich tradesmen, in the new districts, where the stone is all freshly cut and still quite white, don’t they seem to rend the torrid air of noon in July, at the hour when the shopkeepers go home to luncheon in the suburbs, with a cry as harsh as the odour of the cherries waiting for the meal to begin in the darkened dining-room, where the prismatic glass knife-rests project a multicoloured fire as beautiful as the windows of Chartres?” “How wonderful you are! If I ever do become clever, it will be entirely owing to you.” “Why on a fine day tear your eyes away from the Trocadéro, whose giraffe-neck towers remind one of the Charterhouse of Pavia?” “It reminded me also, standing up like that on its hill, of a Mantegna that you have, I think it’s of Saint Sebastian, where in the background there’s a city like an amphitheatre, and you would swear you saw the Trocadéro.” “There, you see! But how did you come across my Mantegna? You are amazing!” We had now reached a more plebeian quarter, and the installation of an ancillary Venus behind each counter made it as it were a suburban altar at the foot of which I would gladly have spent the rest of my life. As one does on the eve of a premature death, I drew up a mental list of the pleasures of which I was deprived by Albertine’s setting a full stop to my freedom. At Passy it was in the open street, so crowded were the footways, that a group of girls, their arms encircling one another’s waist, left me marvelling at their smile. I had not time to see it clearly, but it is hardly probable that I exaggerated it; in any crowd after all, in any crowd of young people, it is not unusual to come upon the effigy of a noble profile. So that these assembled masses on public holidays are to the voluptuary as precious as is to the archaeologist the congested state of a piece of ground in which digging will bring to light ancient medals. We arrived at the Bois. I reflected that, if Albertine had not come out with me, I might at this moment, in the enclosure of the Champs-Elysées, have been hearing the Wagnerian tempest set all the rigging of the orchestra ascream, draw to itself, like a light spindrift, the tune of the shepherd’s pipe which I had just been playing to myself, set it flying, mould it, deform it, divide it, sweep it away in an ever-increasing whirlwind. I was determined, at any rate, that our drive should be short, and that we should return home early, for, without having mentioned it to Albertine, I had decided to go that evening to the Verdurins’. They had recently sent me an invitation which I had flung into the waste-paper basket with all the rest. But I changed my mind for this evening, for I meant to try to find out who the people were that Albertine might have been hoping to meet there in the afternoon. To tell the truth, I had reached that stage in my relations with Albertine when, if everything remains the same, if things go on normally, a woman ceases to serve us except as a starting point towards another woman. She still retains a corner in our heart, but a very small corner; we hasten out every evening in search of unknown women, especially unknown women who are known to her and can tell us about her life. Herself, after all, we have possessed, have exhausted everything that she has consented to yield to us of herself. Her life is still herself, but that part of herself which we do not know, the things as to which we have questioned her in vain and which we shall be able to gather from fresh lips. If my life with Albertine was to prevent me from going to Venice, from travelling, at least I might in the meantime, had I been alone, have made the acquaintance of the young midinettes scattered about in the sunlight of this fine Sunday, in the sum total of whose beauty I gave a considerable place to the unknown life that animated them. The eyes that we see, are they not shot through by a gaze as to which we do not know what images, memories, expectations, disdains it carries, a gaze from which we cannot separate them? The life that the person who passes by is living, will it not impart, according to what it is, a different value to the knitting of those brows, to the dilatation of those nostrils? Albertine’s presence debarred me from going to join them and perhaps also from ceasing to desire them. The man who would maintain in himself the desire to go on living, and his belief in something more delicious than the things of daily life, must go out driving; for the streets, the avenues are full of goddesses. But the goddesses do not allow us to approach them. Here and there, among the trees, at the entrance to some café, a waitress was watching like a nymph on the edge of a sacred grove, while beyond her three girls were seated by the sweeping arc of their bicycles that were stacked beside them, like three immortals leaning against the clouds or the fabulous coursers upon which they perform their mythological journeys. I remarked that, whenever Albertine looked for a moment at these girls, with a profound attention, she at once turned to gaze at myself. But I was not unduly troubled, either by the intensity of this contemplation, or by its brevity for which its intensity compensated; as for the latter, it often happened that Albertine, whether from exhaustion, or because it was an intense person’s way of looking at other people, used to gaze thus in a sort of brown study at my father, it might be, or at Françoise; and as for the rapidity with which she turned to look at myself, it might be due to the fact that Albertine, knowing my suspicions, might prefer, even if they were not justified, to avoid giving them any foothold. This attention, moreover, which would have seemed to me criminal on Albertine’s part (and quite as much so if it had been directed at young men), I fastened, without thinking myself reprehensible for an instant, almost deciding indeed that Albertine was reprehensible for preventing me, by her presence, from stopping the car and going to join them, upon all the midinettes. We consider it innocent to desire a thing and atrocious that the other person should desire it. And this contrast between what concerns ourselves on the one hand, and on the other the person with whom we are in love, is not confined only to desire, but extends also to falsehood. What is more usual than a lie, whether it is a question of masking the daily weakness of a constitution which we wish to be thought strong, of concealing a vice, or of going off, without offending the other person, to the thing that we prefer? It is the most necessary instrument of conversation, and the one that is most widely used. But it is this which we actually propose to banish from the life of her whom we love; we watch for it, scent it, detest it everywhere. It appalls us, it is sufficient to bring about a rupture, it seems to us to be concealing the most serious faults, except when it does so effectively conceal them that we do not suspect their existence. A strange state this in which we are so inordinately sensitive to a pathogenic agent which its universal swarming makes inoffensive to other people and so serious to the wretch who finds that he is no longer immune to it. The life of these pretty girls (because of my long periods of seclusion, I so rarely met any) appeared to me as to everyone in whom facility of realisation has not destroyed the faculty of imagination, a thing as different from anything that I knew, as desirable as the most marvellous cities that travel holds in store for us. The disappointment that I had felt with the women whom I had known, in the cities which I had visited, did not prevent me from letting myself be caught by the attraction of others or from believing in their reality; thus, just as seeing Venice — that Venice for which the spring weather too filled me with longing, and which marriage with Albertine would prevent me from knowing — seeing Venice in a panorama which Ski would perhaps have declared to be more beautiful in tone than the place itself, would to me have been no substitute for the journey to Venice the length of which, determined without any reference to myself, seemed to me an indispensable preliminary; similarly, however pretty she might be, the midinette whom a procuress had artificially provided for me could not possibly be a substitute for her who with her awkward figure was strolling at this moment under the trees, laughing with a friend. The girl that I might find in a house of assignation, were she even better-looking than this one, could not be the same thing, because we do not look at the eyes of a girl whom we do not know as we should look at a pair of little discs of opal or agate. We know that the little ray which colours them or the diamond dust that makes them sparkle is all that we can see of a mind, a will, a memory in which is contained the home life that we do not know, the intimate friends whom we envy. The enterprise of taking possession of all this, which is so difficult, so stubborn, is what gives its value to the gaze far more than its merely physical beauty (which may serve to explain why the same young man can awaken a whole romance in the imagination of a woman who has heard somebody say that he is the Prince of Wales, whereas she pays no more attention to him after learning that she is mistaken); to find the midinette in the house of assignation is to find her emptied of that unknown life which permeates her and which we aspire to possess with her, it is to approach a pair of eyes that have indeed become mere precious stones, a nose whose quivering is as devoid of meaning as that of a flower. No, that unknown midinette who was passing at that moment, it seemed to me as indispensable, if I wished to continue to believe in her reality, to test her resistance by adapting my behaviour to it, challenging a rebuff, returning to the charge, obtaining an assignation, waiting for her as she came away from her work, getting to know, episode by episode, all that composed the girl’s life, traversing the space that, for her, enveloped the pleasure which I was seeking, and the distance which her different habits, her special mode of life, set between me and the attention, the favour which I wished to attain and capture, as making a long journey in the train if I wished to believe in the reality of Venice which I should see and which would not be merely a panoramic show in a World Exhibition. But this very parallel between desire and travel made me vow to myself that one day I would grasp a little more closely the nature of this force, invisible but as powerful as any faith, or as, in the world of physics, atmospheric pressure, which exalted to such a height cities and women so long as I did not know them, and slipped away from beneath them as soon as I had approached them, made them at once collapse and fall flat upon the dead level of the most commonplace reality. Farther along another girl was kneeling beside her bicycle, which she was putting to rights. The repair finished, the young racer mounted her machine, but without straddling it as a man would have done. For a moment the bicycle swerved, and the young body seemed to have added to itself a sail, a huge wing; and presently we saw dart away at full speed the young creature half-human, half-winged, angel or peri, pursuing her course. This was what a life with Albertine prevented me from enjoying. Prevented me, did I say? Should I not have thought rather: what it provided for my enjoyment. If Albertine had not been living with me, had been free, I should have imagined, and with reason, every woman to be a possible, a probable object of her desire, of her pleasure. They would have appeared to me like those dancers who, in a diabolical ballet, representing the Temptations to one person, plunge their darts in the heart of another. Midinettes, schoolgirls, actresses, how I should have hated them all! Objects of horror, I should have excepted them from the beauty of the universe. My bondage to Albertine, by permitting me not to suffer any longer on their account, restored them to the beauty of the world. Inoffensive, having lost the needle that stabs the heart with jealousy, I was able to admire them, to caress them with my eyes, another day more intimately perhaps. By secluding Albertine, I had at the same time restored to the universe all those rainbow wings which sweep past us in public gardens, ballrooms, theatres, and which became tempting once more to me because she could no longer succumb to their temptation. They composed the beauty of the world. They had at one time composed that of Albertine. It was because I had beheld her as a mysterious bird, then as a great actress of the beach, desired, perhaps won, that I had thought her wonderful. As soon as she was a captive in my house, the bird that I had seen one afternoon advancing with measured step along the front, surrounded by the congregation of the other girls like seagulls alighted from who knows whence, Albertine had lost all her colours, with all the chances that other people had of securing her for themselves. Gradually she had lost her beauty. It required excursions like this, in which I imagined her, but for my presence, accosted by some woman, or by some young man, to make me see her again amid the splendour of the beach, albeit my jealousy was on a different plane from the decline of the pleasures of my imagination. But notwithstanding these abrupt reversions in which, desired by other people, she once more became beautiful in my eyes, I might very well divide her visit to me in two periods, an earlier in which she was still, although less so every day, the glittering actress of the beach, and a later period in which, become the grey captive, reduced to her dreary self, I required those flashes in which I remembered the past to make me see her again in colour. Sometimes, in the hours in which I felt most indifferent towards her, there came back to me the memory of a far-off moment when upon the beach, before I had made her acquaintance, a lady being near her with whom I was on bad terms and with whom I was almost certain now that she had had relations, she burst out laughing, staring me in the face in an insolent fashion. All round her hissed the blue and polished sea. In the sunshine of the beach, Albertine, in the midst of her friends, was the most beautiful of them all. She was a splendid girl, who in her familiar setting of boundless waters, had — precious in the eyes of the lady who admired her — inflicted upon me this unpardonable insult. It was unpardonable, for the lady would perhaps return to Balbec, would notice perhaps, on the luminous and echoing beach, that Albertine was absent. But she would not know that the girl was living with me, was wholly mine. The vast expanse of blue water, her forgetfulness of the fondness that she had felt for this particular girl and would divert to others, had closed over the outrage that Albertine had done me, enshrining it in a glittering and unbreakable casket. Then hatred of that woman gnawed my heart; of Albertine also, but a hatred mingled with admiration of the beautiful, courted girl, with her marvellous hair, whose laughter upon the beach had been an insult. Shame, jealousy, the memory of my earliest desires and of the brilliant setting had restored to Albertine the beauty, the intrinsic merit of other days. And thus there alternated with the somewhat oppressive boredom that I felt in her company a throbbing desire, full of splendid storms and of regrets; according to whether she was by my side in my bedroom or I set her at liberty in my memory upon the front, in her gay seaside frocks, to the sound of the musical instruments of the sea,— Albertine, now extracted from that environment, possessed and of no great value, now plunged back into it, escaping from me into a past which I should never be able to know, hurting me, in her friend’s presence, as much as the splash of the wave or the heat of the sun,— Albertine restored to the beach or brought back again to my room, in a sort of amphibious love. Farther on, a numerous band were playing ball. All these girls had come out to make the most of the sunshine, for these days in February, even when they are brilliant, do not last long and the splendour of their light does not postpone the hour of its decline. Before that hour drew near, we passed some time in twilight, because after we had driven as far as the Seine, where Albertine admired, and by her presence prevented me from admiring the reflexions of red sails upon the wintry blue of the water, a solitary house in the distance like a single red poppy against the clear horizon, of which Saint-Cloud seemed, farther off again, to be the fragmentary, crumbling, rugged pétrification, we left our motor-car and walked a long way together; indeed for some moments I gave her my arm, and it seemed to me that the ring which her arm formed round it united our two persons in a single self and linked our separate destinies together. At our feet, our parallel shadows, where they approached and joined, traced an exquisite pattern. No doubt it already seemed to me a marvellous thing at home that Albertine should be living with me, that it should be she that came and lay down on my bed. But it was so to speak the transportation of that marvel out of doors, into the heart of nature, that by the shore of that lake in the Bois, of which I was so fond, beneath the trees, it should be her and none but her shadow, the pure and simplified shadow of her leg, of her bust, that the sun had to depict in monochrome by the side of mine upon the gravel of the path. And I found a charm that was more immaterial doubtless, but no less intimate, than in the drawing together, the fusion of our bodies, in that of our shadows. Then we returned to our car. And it chose, for our homeward journey, a succession of little winding lanes along which the wintry trees, clothed, like ruins, in ivy and brambles, seemed to be pointing the way to the dwelling of some magician. No sooner had we emerged from their dusky cover than we found, upon leaving the Bois, the daylight still so bright that I imagined that I should still have time to do everything that I wanted to do before dinner, when, only a few minutes later, at the moment when our car approached the Arc de Triomphe, it was with a sudden start of surprise and dismay that I perceived, over Paris, the moon prematurely full, like the face of a clock that has stopped and makes us think that we are late for an engagement. We had told the driver to take us home. To Albertine, this meant also coming to my home. The company of those women, however dear to us, who are obliged to leave us and return home, does not bestow that peace which I found in the company of Albertine seated in the car by my side, a company that was conveying us not to the void in which lovers have to part but to an even more stable and more sheltered union in my home, which was also hers, the material symbol of my possession of her. To be sure, in order to possess, one must first have desired. We do not possess a line, a surface, a mass unless it is occupied by our love. But Albertine had not been for me during our drive, as Rachel had been in the past, a futile dust of flesh and clothing. The imagination of my eyes, my lips, my hands had at Balbec so solidly built, so tenderly polished her body that now in this car, to touch that body, to contain it, I had no need to press my own body against Albertine, nor even to see her; it was enough to hear her, and if she was silent to know that she was by my side; my interwoven senses enveloped her altogether and when, as we arrived at the front door, she quite naturally alighted, I stopped for a moment to tell the chauffeur to call for me later on, but my gaze enveloped her still while she passed ahead of me under the arch, and it was still the same inert, domestic calm that I felt as I saw her thus, solid, flushed, opulent and captive, returning home quite naturally with myself, as a woman who was my own property, and, protected by its walls, disappearing into our house.
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