Nietzsche | combien souvent j’ai, pour me reposer de moi-même, cherché à me mettre à couvert quelque part — dans quelque respect, ou frivolité

On a nommé mes livres une école de soupçon, plus encore, de mépris, heureusement aussi de courage, voire de témérité. En fait, je ne crois pas moi-même que personne ait jamais considéré le monde avec un soupçon aussi profond, et non seulement en avocat du diable à l’occasion, mais aussi bien, pour employer le langage théologique, en ennemi et en partie de Dieu : et qui sait deviner quelque chose des conséquences qu’enveloppe tout soupçon profond, quelque chose des frissons et des angoisses de la solitude, auxquels toute absolue différence de vue condamne celui qui en est affligé, comprendra aussi combien souvent j’ai, pour me reposer de moi-même, et quasi pour m’oublier moi-même momentanément, cherché à me mettre à couvert quelque part — dans quelque respect, ou hostilité, ou science, ou frivolité, ou sottise ; pourquoi aussi, lorsque je ne trouvais pas ce qu’il me fallait, j’ai dû me le procurer par artifice, tantôt par falsification, tantôt par invention (— et qu’ont jamais fait d’autre les poètes ? et pourquoi serait donc fait tout l’art du monde ?). Or ce qu’il me fallait toujours de plus en plus nécessairement, pour ma guérison et mon rétablissement, c’était la croyance que je n’étais pas le seul à être de la sorte, à voir de la sorte, — un magique pressentiment de parenté et de similitude d’œil et de désir, un repos dans la confiance de l’amitié, une cécité à deux sans soupçon et sans point d’interrogation, une jouissance prise aux premiers plans, à la surface, au prochain, au voisin, à tout ce qui a couleur, peau et apparence.

Nice, au printemps de 1886.

Humain, trop humain
Préface

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Man hat meine Schriften eine Schule des Verdachts genannt, noch mehr der Verachtung, glücklicherweise auch des Muthes, ja der Verwegenheit. In der That, ich selbst glaube nicht, dass jemals Jemand mit einem gleich tiefen Verdachte in die Welt gesehn hat, und nicht nur als gelegentlicher Anwalt des Teufels, sondern ebenso sehr, theologisch zu reden, als Feind und Vorforderer Gottes; und wer etwas von den Folgen erräth, die in jedem tiefen Verdachte liegen, etwas von den Frösten und Aengsten der Vereinsamung, zu denen jede unbedingte Verschiedenheit des Blicks den mit ihr Behafteten verurtheilt, wird auch verstehn, wie oft ich zur Erholung von mir, gleichsam zum zeitweiligen Selbstvergessen, irgendwo unterzutreten suchte — in irgend einer Verehrung oder Feindschaft oder Wissenschaftlichkeit oder Leichtfertigkeit oder Dummheit; auch warum ich, wo ich nicht fand, was ich brauchte, es mir künstlich erzwingen, zurecht fälschen, zurecht dichten musste (— und was haben Dichter je Anderes gethan? und wozu wäre alle Kunst in der Welt da?). Was ich aber immer wieder am nöthigsten brauchte, zu meiner Kur und Selbst-Wiederherstellung, das war der Glaube, nicht dergestalt einzeln zu sein, einzeln zu sehn, — ein zauberhafter Argwohn von Verwandtschaft und Gleichheit in Auge und Begierde, ein Ausruhen im Vertrauen der Freundschaft, eine Blindheit zu Zweien ohne Verdacht und Fragezeichen, ein Genuss an Vordergründen, Oberflächen, Nahem, Nächstem, an Allem, was Farbe, Haut und Scheinbarkeit hat.

Nizza, im Frühling 1886

Menschliches, Allzumenschliches.
Ein Buch für freie Geister.
Von Friedrich Nietzsche.
PRÉFACE