Dostoïevski | Si je ne mourais pas ? Si la vie m’était rendue ? Quelle éternité ! Et tout cela serait à moi ! Oh ! alors, chaque minute serait pour moi comme une existence entière

(Le prince raconte l'histoire de cet homme qui doit être fusillé)

« Si je ne mourais pas ? Si la vie m’était rendue ? Quelle éternité ! Et tout cela serait à moi ! Oh ! alors, chaque minute serait pour moi comme une existence entière, je n’en perdrais pas une seule, je tiendrais compte de tous mes instants pour n’en dépenser aucun inutilement ! » À la fin, l’obsession de cette idée l’avait tellement irrité qu’il aurait voulu être fusillé le plus vite possible.

... (Observation d'Alexandra) : — cet ami qui vous a raconté ses transes… on a commué sa peine, par conséquent on lui a donné cette « vie éternelle ». Eh bien, quel usage a-t-il fait ensuite de ce trésor ? A-t-il vécu en « tenant compte » de chaque minute ?

— Oh ! non, je lui ai demandé s’il avait mis son programme à exécution, et lui-même a reconnu qu’il n’avait pas du tout vécu ainsi, qu’au contraire il avait perdu beaucoup, beaucoup de minutes.

— Eh bien, voilà une expérience décisive. Cela prouve qu’en effet on ne peut pas vivre en tenant compte de tous les instants. C’est impossible.

— Oui, c’est impossible, reprit le prince, — moi-même je me suis dit cela… Et pourtant comment ne pas croire ?…

— C’est-à-dire que vous croyez vivre plus intelligemment que tout le monde ? interrogea Aglaé.

Dostoïevski, L'Idiot

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Cf Marcel Proust, 1922 | nous n'aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd'hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort

Oeuvre