Balzac plonge ses héros bien plus profondément dans la contingence ; il n'a plus le sens des normes et des limites du tragique tels qu'on les concevait autrefois et il ne possède pas encore, à l'endroit de la réalité moderne, le sérieux objectif qui se développera plus tard. Il prend pompeusement au tragique n'importe quelle contrariété, si commune et si triviale qu'elle soit ; toute manie devient chez lui une grande passion ; il est toujours prêt à faire un héros ou un saint de n'importe quel malheureux ; s'agit-il d'une femme, il la compare à un ange ou à la Madone ; tout coquin décidé et d'une manière générale tout individu un peu trouble prend les traits d'un démon ; et il nomme le pauvre vieux Goriot ce Christ de la paternité. Il était conforme à son tempérament impétueux, chaleureux et peu critique, il était conforme aussi à la mode romantique de pressentir partout des forces démoniques cachées et de forcer l'expression jusqu'au mélodrame.
Erich Auerbach,
Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale