Albertine | 355 | ma mère était ennuyée de voir que le séjour d'Albertine à la maison se prolongeait, et s'affermir, quoique non encore déclarées à la fiancée, mes intentions de mariage

Je me mis à lire la lettre de maman. À travers ses citations de Mme de Sévigné (« Si mes pensées ne sont pas tout à fait noires à Combray, elles sont au moins d'un gris brun, je pense à toi à tout moment je te souhaite, ta santé, tes affaires, ton éloignement, que penses-tu que tout cela puisse faire entre chien et loup ? ») je sentais que ma mère était ennuyée de voir que le séjour d'Albertine à la maison se prolongeait, et s'affermir, quoique non encore déclarées à la fiancée, mes intentions de mariage. Elle ne me le disait pas plus directement parce qu'elle craignait que je laissasse traîner ses lettres. Encore, si voilées qu'elles fussent, me reprochait-elle de ne pas l'avertir immédiatement après chacune que je l'avais reçue : « Tu sais bien que Mme de Sévigné disait : “Quand on est loin on ne se moque plus des lettres qui commencent par : j'ai reçu la vôtre.” » Sans parler de ce qui l'inquiétait le plus, elle se disait fâchée de mes grandes dépenses : « À quoi peut passer tout ton argent ? Je suis déjà assez tourmentée de ce que, comme Charles de Sévigné, tu ne saches pas ce que tu veuilles et que tu sois “deux ou trois hommes à la fois”, mais tâche au moins de ne pas être comme lui pour la dépense et que je ne puisse pas dire de toi : “Il a trouvé le moyen de dépenser sans paraître, de perdre sans jouet et de payer sans s'acquitter.” »

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