– Chateaubriand est beaucoup plus vivant que vous ne dites, et Balzac est tout de même un grand écrivain, répondit M. de Charlus, encore trop imprégné du goût de Swann pour ne pas être irrité par Brichot, et Balzac a connu jusqu'à ces passions que tout le monde ignore ou n'étudie que pour les flétrir. Sans reparler des immortelles Illusions perdues, Sarrazine, La Fille aux yeux d'or, Une passion dans le désert, même l'assez énigmatique Fausse Maîtresse, viennent à l'appui de mon dire. Quand je parlais de ce côté “hors nature” de Balzac à Swann, il me disait : “Vous êtes du même avis que Taine.” Je n'avais pas l'honneur de connaître M. Taine, ajouta M. de Charlus (avec cette irritante habitude du “monsieur” inutile qu'ont les gens du monde, comme s'ils croyaient en taxant de monsieur un grand écrivain, lui décerner un honneur, peut-être garder les distances, et bien faire savoir qu'ils ne le connaissent pas), je ne connaissais pas M. Taine, mais je me tenais pour fort honoré d'être du même avis que lui. » D'ailleurs, malgré ces habitudes mondaines ridicules, M. de Charlus était très intelligent, et il est probable que si quelque mariage ancien avait noué une parenté entre sa famille et celle de Balzac, il eût ressenti (non moins que Balzac d'ailleurs) une satisfaction dont il n'eût pu cependant s'empêcher de se targuer comme d'une marque de condescendance admirable.
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Texte en ligne : Balzac, Illusions perdues et sa suite : Splendeurs et misères des courtisanes