vivre sa vie
d'une fille aux yeux brillants, rieurs, aux grosses joues mates, sous un « polo » noir, enfoncé sur sa tête, qui poussait une bicyclette avec un dandinement de hanches si dégingandé, en employant des termes d'argot si voyous et criés si fort, quand je passai auprès d'elle (parmi lesquels je distinguai cependant la phrase fâcheuse de « vivre sa vie »)
bande à part
Individualisées maintenant, pourtant la réplique que se donnaient les uns aux autres leurs regards animés de suffisance et d'esprit de camaraderie et dans lesquels se rallumaient d'instant en instant tantôt l'intérêt, tantôt l'insolente indifférence dont brillait chacune, selon qu'il s'agissait de ses amies ou des passants, cette conscience aussi de se connaître entre elles assez intimement pour se promener toujours ensemble, en faisant « bande à part », mettaient entre leurs corps indépendants et séparés, tandis qu'ils s'avançaient lentement, une liaison invisible, mais harmonieuse comme une même ombre chaude, une même atmosphère, faisant d'eux un tout aussi homogène en ses parties qu'il était différent de la foule au milieu de laquelle se déroulait lentement leur cortège.
à bout de souffle
« Tout à l'heure j'aurai quelque chose à dire à Mlle Albertine ; est-ce qu'elle est levée ? – Oui, elle s'est levée de bonne heure. » Je sentis se soulever en moi comme dans un coup de vent mille inquiétudes que je ne savais pas tenir en suspens dans ma poitrine. Le tumulte y était si grand que j'étais à bout de souffle comme dans une tempête.
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Trois titres de films de Jean-Luc Godard, empruntés à Marcel Proust, liés à l'histoire d'Albertine.
"Jean-Luc Godard envisageait d'autres films que nous ferions ensemble. Il rêva d'adapter La Prisonnière d'après Marcel Proust. Malheureusement, sa nièce et héritière, Mme Mante, lui répondit avec une extrême courtoisie que "c'était au-dessus de ses moyens" et qu'elle songeait à Visconti ou à Joseph Losey. Jean-Luc fut déçu."
Anne Wiazemsky, Une année studieuse, Gallimard