Cependant je regardais Robert et je songeais à ceci. Il y avait dans ce café, j'avais connu dans la vie, bien des étrangers, intellectuels, rapins de toute sorte, résignés au rire qu'excitaient leur cape prétentieuse, leurs cravates 1830 et bien plus encore leurs mouvements maladroits, allant jusqu'à le provoquer pour montrer qu'ils ne s'en souciaient pas, et qui étaient des gens d'une réelle valeur intellectuelle et morale, d'une profonde sensibilité. Ils déplaisaient – les Juifs principalement, les Juifs non assimilés bien entendu, il ne saurait être question des autres – aux personnes qui ne peuvent souffrir un aspect étrange, loufoque (comme Bloch à Albertine). Généralement on reconnaissait ensuite que, s'ils avaient contre eux d'avoir les cheveux trop longs, le nez et les yeux trop grands, des gestes théâtraux et saccadés, il était puéril de les juger là-dessus, qu'ils avaient beaucoup d'esprit, de coeur et étaient, à l'user, des gens qu'on pouvait profondément aimer. Pour les Juifs en particulier, il en était peu dont les parents n'eussent une générosité de coeur, une largeur d'esprit, une sincérité, à côté desquelles la mère de Saint-Loup et le duc de Guermantes ne fissent piètre figure morale par leur sécheresse, leur religiosité superficielle qui ne flétrissait que les scandales, et leur apologie familiale d'un christianisme aboutissant infailliblement (par les voies imprévues de l'intelligence uniquement prisée) à un colossal mariage d'argent. Mais enfin chez Saint-Loup, de quelque façon que les défauts des parents se fussent combinés en une création nouvelle de qualités, régnait la plus charmante ouverture d'esprit et de coeur. Et alors, il faut bien le dire à la gloire immortelle de la France, quand ces qualités-là se trouvent chez un pur Français, qu'il soit de l'aristocratie ou du peuple, elles fleurissent – s'épanouissent serait trop dire, car la mesure y persiste et la restriction – avec une grâce que l'étranger, si estimable soit-il, ne nous offre pas. Les qualités intellectuelles et morales, certes les autres les possèdent aussi, et s'il faut d'abord traverser ce qui déplaît et ce qui choque et ce qui fait sourire, elles ne sont pas moins précieuses. Mais c'est tout de même une jolie chose et qui est peut-être exclusivement française, que ce qui est beau au jugement de l'équité, ce qui vaut selon l'esprit et le coeur, soit d'abord charmant aux yeux, coloré avec grâce, ciselé avec justesse, réalise aussi dans sa matière et dans sa forme la perfection intérieure. Je regardais Saint-Loup, et je me disais que c'est une jolie chose quand il n'y a pas de disgrâce physique pour servir de vestibule aux grâces intérieures, et que les ailes du nez sont délicates et d'un dessin parfait comme celles des petits papillons qui se posent sur les fleurs des prairies, autour de Combray ; et que le véritable opus francigenum, dont le secret n'a pas été perdu depuis le XIIIe siècle, et qui ne périrait pas avec nos églises, ce ne sont pas tant les anges de pierre de Saint-André-des-Champs que les petits Français, nobles, bourgeois ou paysans, au visage sculpté avec cette délicatesse et cette franchise restées aussi traditionnelles qu'au porche fameux, mais encore créatrices.
Albertine | 244 | Ils déplaisaient aux personnes qui ne peuvent souffrir un aspect étrange, loufoque (comme Bloch à Albertine)
Sommaire du volume
- Albertine | 117 | la fameuse “Albertine”
- Albertine | 133 | ma nièce Albertine est comme moi. Vous ne savez pas ce qu'elle est effrontée cette petite | cette petite masque, elle est rusée comme un singe
- Albertine | 137 - 140 | je n'accompagnai pas mon père à un dîner officiel où il devait y avoir les Bontemps avec leur nièce Albertine, petite jeune fille presque encore enfant | je ne savais pas alors l'influence que cette famille devait avoir sur ma vie
- Albertine | 162 - 163 | Une de ces inconnues poussait devant elle, de la main, sa bicyclette
- Albertine | 163 - 164 | la petite Simonet
- Albertine | 165 - 166 | la de moins en moins existante Mlle Simonet
- Albertine | 167 - 168 | C'est ainsi, faisant halte, les yeux brillants sous son « polo » que je la revois
- Albertine | 169 - 173 | Elstir me dit qu'elle s'appelait Albertine Simonet
- Albertine | 173 - 174 | La connaissance d'Albertine
- Albertine | 174 - 175 | une jeune fille portant un toquet et un manchon | il n'existait pas de personne plus désirable
- Albertine | 175 | Une même expression, de figure comme de langage, pouvant comporter diverses acceptions, j'étais hésitant comme un élève devant les difficultés d'une version grecque
- Albertine | 175 - 176 | Albertine obstinément placée entre nous deux
- Albertine | 176 - 177 | Bientôt je passai toutes mes journées avec ces jeunes filles
- Albertine | 178 - 180 | Alors je l'avais déplié et j'avais lu ces mots qu'elle m'avait écrits : « Je vous aime bien. » | c'était avec elle que j'aurais mon roman
- Albertine | 180 | Dans la semaine qui suivit je ne cherchai guère à voir Albertine. L'amour commence, on voudrait rester pour celle qu'on aime l'inconnu qu'elle peut aimer
- Albertine | 180 - 182 | Oui, me dit-elle, je passe cette nuit-là à votre hôtel | J'allais savoir l'odeur, le goût, qu'avait ce fruit rose inconnu
- Albertine | 182 | Si Albertine me semblait maintenant vide, Andrée était remplie de quelque chose que je connaissais trop
- Albertine | 182 - 183 | chacune de ces Albertine était différente | plus tard je pris l'habitude de devenir moi-même un personnage autre selon celle des Albertine à laquelle je pensais
- Albertine | 190 | idées romanesques que je possédais depuis longtemps et que la froideur d'Albertine, le départ prématuré de Gisèle, la séparation d'avec Gilberte avaient libérées
- Albertine | 231 | le même sentiment instinctif qui m'avait fait supposer qu'Andrée plaignait trop Albertine pour l'aimer beaucoup
- Albertine | 236 - 239 | Françoise vint ouvrir la porte, introduisant Albertine, contenant dans la plénitude de son corps les jours passés dans ce Balbec | enfin j'étais en train d'embrasser la joue d'Albertine
- Albertine | 240 - 241 | Françoise m'annonça Albertine. Je fis entrer aussitôt, indifférent | je demandai à Albertine de m'accompagner jusqu'à l'île du bois de Boulogne | elle avait représenté tout autre chose pour moi, à Balbec
- Albertine | 244 | Ils déplaisaient aux personnes qui ne peuvent souffrir un aspect étrange, loufoque (comme Bloch à Albertine)
- Albertine | 273 | j'avais convenu avec Albertine (je lui avais donné une loge pour Phèdre) qu'elle viendrait me voir un peu avant minuit
- Albertine | 280 - 284 | Albertine, en ce moment bien loin de ma pensée, devait venir chez moi aussitôt après le théâtre | Elle ne viendra plus. Ah ! nos gigolettes d'aujourd'hui !
- Albertine | 284 - 285 | bruit de toupie du téléphone. Je m'élançai, c'était Albertine
- Albertine | 288 - 290 | un petit mot d'Albertine | Ah ! maintenant, mademoiselle Albertine, c'est quelqu'un | j'avais désiré de réentendre le rire d'Albertine
- Albertine | 291 - 292 | Albertine recommençait cependant à m'inspirer comme un désir de bonheur
- Albertine | 292 - 295 | casino d'Incarville. Albertine et Andrée qui valsaient lentement, serrées l'une contre l'autre. Au comble de la jouissance | J'avais mal compris le caractère d'Albertine
- Albertine | 296 - 297 | Albertine me dit : « Qu'est-ce que vous avez contre moi ? » | J'aurais dû partir ce soir-là sans jamais la revoir
- Albertine | 297 - 299 | Nous allions goûter comme autrefois « en bande », Albertine, ses amies et moi | nous allions comme deux amants tout seuls | mes préoccupations du côté de Gomorrhe
- Albertine | 300 - 304 | Nous étions, Albertine et moi, devant la station Balbec du petit train d'intérêt local | Stupidement, croyant qu'on ne peut aimer qu'une chose, jaloux de l'attitude d'Albertine à l'égard de Robert, j'étais rassuré quant aux femmes
- Albertine | 309 | une conversation avec ma mère | un mariage entre Albertine et toi serait le rêve de sa tante | Actuellement je ne peux pas te dire comment je trouve Albertine, je ne la trouve pas
- Albertine | 314 - 315 | une jeune cousine que je ne peux pas laisser seule (je trouvais que cette prétendue parenté simplifiait les choses pour sortir avec Albertine) | pourquoi ne l'amèneriez-vous pas ici, votre cousine ?
- Albertine | 316 - 322 | Tous les jours, je sortais avec Albertine | je commandai, pour mon malheur, une automobile | Et c'est comme une chienne encore qu'elle commençait aussitôt à me caresser sans fin
- Albertine | 322 - 330 | à La Raspelière où je viens dîner pour la première fois avec mon amie | enchaîné à ce besoin quotidien de voir Albertine
- Albertine | 331 - 332 | elle avait dit que ma « cousine » avait un drôle de genre et je voulus savoir ce qu'elle entendait par là | Albertine dans le train avec Saint-Loup | Le mariage avec Albertine m'apparaissait comme une folie
- Albertine | 333 - 335 | Je n'attendais qu'une occasion pour la rupture définitive | la chambre de Montjouvain où elle tombait dans les bras de Mlle Vinteuil | il faut absolument que j'épouse Albertine
- Albertine | 336 - 337 | Albertine habitait alors avec moi | Je n'aimais plus Albertine, car il ne me restait plus rien de la souffrance, guérie maintenant
- Albertine | 338 - 339 | en quittant Balbec, j'avais cru quitter Gomorrhe, en arracher Albertine ; hélas ! Gomorrhe était dispersée aux quatre coins du monde | Elle était capable de me causer de la souffrance, nullement de la joie
- Albertine | 340 - 342 | certaines jolies choses de toilette que je voulais donner à mon amie | Les brimborions de la parure causaient à Albertine de grands plaisirs
- Albertine | 343 - 344 | un petit incident dont la cruelle signification m'échappa entièrement et ne fut comprise par moi que longtemps après | Andrée | l'odeur de seringa | une autre Albertine | jalousie
- Albertine | 344 - 345 | Albertine encagée | images successives qu'Albertine avait été pour moi | je la regardais dormir | plusieurs Albertine en une seule | Je m'étais embarqué sur le sommeil d'Albertine
- Albertine | 346 - 351 | la voir s'éveiller | le plaisir même qu'elle habitât chez moi | habitudes de vie en commun | sous toute douceur charnelle un peu profonde, il y a la permanence d'un danger | jalousie
- Albertine | 352 - 353 | un signal joyeux de son éveil | Certaines des nourritures criées dans la rue étaient fort au goût d'Albertine | paroles menteuses | prolongement extérieur de la séquestration
- Albertine | 354 | A Versailles. Albertine avait été seule, livrée à elle-même | les explications du chauffeur, en innocentant Albertine me la rendaient encore plus ennuyeuse
- Albertine | 355 | ma mère était ennuyée de voir que le séjour d'Albertine à la maison se prolongeait, et s'affermir, quoique non encore déclarées à la fiancée, mes intentions de mariage
- Albertine | 355 - 357 | Mlle Léa | Léa, c'était la comédienne amie des deux jeunes filles qu'Albertine, sans avoir l'air de les voir, avait un après-midi, au casino, regardées dans la glace
- Albertine | 357 - 358 | la sonate de Vinteuil | La musique bien différente en cela de la société d'Albertine, m'aidait à descendre en moi-même, à y découvrir du nouveau
- Albertine | 358 - 360 | Familial et domestique : le sentiment que j'éprouvai en me promenant avec elle | Passy, Bois (de Boulogne), Seine, Saint-Cloud | les jeunes midinettes éparses