Tolstoï | cet art aura pour objet de transmettre les sentiments vitaux. Le domaine de cet art des sentiments simples, accessibles à tous, ce domaine est immense

La vérité est que le contenu de l’art de l’avenir ne sera point rétréci, mais au contraire élargi, lorsque cet art aura pour objet de transmettre les sentiments vitaux, les plus généraux de tous, les plus simples, les plus universels. Dans notre art d’à présent, on ne considère comme dignes d’être exprimés par l’art que les sentiments particuliers d’hommes d’une certaine situation exceptionnelle, et encore entend-on qu’ils soient exprimés d’une façon très raffinée, inaccessible à la majorité des hommes. Et l’on tient pour indigne de fournir une matière à l’art tout l’immense domaine de l’art populaire et enfantin : les proverbes, les chansons, les jeux, les imitations, etc. Mais l’artiste de l’avenir comprendra que de produire une fable, une chanson, pourvu qu’elles émeuvent, de produire une farce, pourvu qu’elle amuse, de dessiner une image qui réjouisse des milliers d’enfants et de grandes personnes, que tout cela est infiniment plus fécond et plus important que de produire un roman, ou une symphonie, ou un tableau qui divertiront pendant quelque temps un petit nombre de gens riches, et puis s’enfonceront à jamais dans l’oubli. Or le domaine de cet art des sentiments simples, accessibles à tous, ce domaine est immense et n’a pour ainsi dire jamais été touché.

Ainsi l’art de l’avenir ne sera pas plus pauvre que le nôtre, mais au contraire infiniment plus riche. Et la forme de l’art de l’avenir, elle aussi, ne sera pas inférieure à la forme actuelle de l’art, mais lui sera incomparablement supérieure, et cela non pas dans le sens d’une technique raffinée et artificielle mais dans le sens d’une expression brève, simple, claire, libre de toute surcharge inutile.

Léon Tolstoï, Qu'est-ce que l'art ?, 1898

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Cf Dostoïevski

Mais ne soyez pas comme certains rêveurs, qui veulent tout de suite empoigner l’outil ou la brouette en disant : Je ne veux plus être un seigneur ; je veux travailler comme un moujik. Si vous sentez que vous êtes capable de rendre des services comme savant, allez à l’université ; il importe seulement de faire ce que vous reconnaîtrez pouvoir faire utilement pour la collectivité, de travailler activement pour la cause de l’amour universel. Tous vos essais pour vous « transformer en simples travailleurs » ne seront que de la mascarade. Vous êtes trop complexes pour devenir des moujiks, tâchez plutôt d’élever les moujiks jusqu’à votre complexité. Ce sera mieux que toutes les comédies de simplification.

(...) Soyez maître de vous-même, sachez vous vaincre vous-même avant de faire le premier pas dans le chemin nouveau. Prêcher d’exemple avant de vouloir convertir les autres. C’est alors que vous pourrez aller de l’avant.

Dostoïevski, Journal d'un écrivain, 1877

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Cf Marcel Proust

L'idée d'un art populaire comme d'un art patriotique si même elle n'avait pas été dangereuse, me semblait ridicule | l'artiste ne peut servir la gloire de sa patrie qu'en étant artiste | il est aussi vain d'écrire spécialement pour le peuple que pour les enfants. Ce qui féconde un enfant, ce n'est pas un livre d'enfantillages